Il y a le film et… la rĂ©alitĂ©!
Réponse de Marc Fiévet, suite à la polémique autour du tournage de Gibraltar, dans son intégralité :

Suite aux vidĂ©os mises en ligne sur Allocine (celles d’Abdel Raouf Dafri et Julien Leclercq) et la controverse soulevĂ©e, jâestime nĂ©cessaire d’apporter quelques prĂ©cisions supplĂ©mentaires sur le film produit par Dimitri Rassam et rĂ©alisĂ© par Julien Leclercq, avec dans le rĂŽle de Marc Duval, Gilles Lellouche, dans le rĂŽle de lâofficier recruteur des douanes françaises et agent traitant, Tahar Rahim et dans le rĂŽle du narco Claudio Pasquale Locatelli – considĂ©rĂ© comme le Copernic du narcotrafic mondial par Roberto Saviano dans son dernier livre Zero, zero, zero – Riccardo Scamarcio.Le scĂ©nario initial tirĂ© du livre « L’Aviseur » que j’ai Ă©crit, et qui a inspirĂ© l’Ă©criture par Abdel Raouf Dafri, du scĂ©nario auquel j’ai participĂ© et pour lequel j’ai signĂ© un contrat de consultant, n’a pas Ă©tĂ© respectĂ© par le rĂ©alisateur et ne correspond en rien Ă ce qui devait ĂȘtre tournĂ©…
En effet comment aurais-je pu accepter d’ĂȘtre prĂ©sentĂ© comme ce Marc Duval, tenancier d’un « bar Ă tapas » de troisiĂšme zone, incapable de faire marcher son business et s’entĂȘtant toutefois Ă garder un voilier qu’il n’Ă©tait pas capable d’assumer financiĂšrement ?
Comment aurais-je pu accepter que le rĂ©alisateur Julien Leclercq tourne des scĂšnes qui n’ont strictement rien Ă voir avec la rĂ©alitĂ© de mon vĂ©cu ?
Comment aurais-je pu accepter de voir sali le rĂŽle que j’ai jouĂ© auprĂšs des autoritĂ©s rĂ©galiennes et des opĂ©rations undercover des services de lutte contre le narcotrafic ?
J’ai rencontrĂ© le rĂ©alisateur Julien Leclercq pour la premiĂšre fois lors de la projection privĂ©e Ă laquelle j’ai assistĂ©, accompagnĂ© de mes avocats, le 15 juin 2013. Je lui ai immĂ©diatement demandĂ© pour quelles raisons la scĂšne de ma rencontre avec le ministre Michel Charasse ne figurait pas dans le film (alors qu’elle se trouvait dans le scĂ©nario d’Abdel Raouf Dafri)?Â
AprĂšs un bafouillage, il m’expliqua que c’Ă©tait une question de coĂ»t !
Fichtre, tourner une scĂšne dans un bureau avec un ventru Ă bretelles fumant le « Cohiba » aurait au moins dĂ©montrĂ© la volontĂ© politique des actions d’infiltration. Mais c’Ă©tait trop cher !!!
Ce sera lâunique rencontre que jâaurais eu avec ce « grand » professionnel.
Ce qui me navre, c’est que je suis prĂ©sentĂ© dans ce mauvais film comme un pauvre mec aux abois et pis encore, comme un mauvais agent d’infiltration. »
Pourtant, si l’on en croit les propos de :
Christian Gatard (le douanier joué par Tahar Rahim) a été interviewé par Ouest France le 7 octobre 2013:
« Marc FiĂ©vet a Ă©tĂ© trĂšs productif et trĂšs professionnel en matiĂšre de renseignements. Il travaillait de maniĂšre rigoureuse avec une production dense, riche et intĂ©ressante sur les individus et les mouvements de bateaux. Il a rencontrĂ© plusieurs fois le ministre, Michel Charasse, et les Douanes lui ont mĂȘme financĂ© l’achat d’un restaurant Ă Estepona, prĂšs de Marbella.
Notre coopĂ©ration opĂ©rationnelle a durĂ© six ans et malheureusement il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par les Britanniques, Ă la demande des Canadiens. »
Ă la question « Pourquoi a-t-il Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© ? » :
« Au fil du temps, il s’est infiltrĂ© dans les rĂ©seaux et a Ă©tĂ©, entre autre, en relation avec un gros baron de la drogue, Claudio Locatelli. Il a participĂ© Ă de nombreuses opĂ©rations, notamment six tonnes de cocaĂŻne au Canada. Bien que les Britanniques aient profitĂ© des renseignements de Marc Fievet, ils avaient une dent contre lui au sujet d’une livraison de cocaĂŻne pour l’IRA qui n’avait pas eu lieu et ils l’ont « flinguĂ© ».
GrĂące Ă lui, on les avait informĂ©s de cette livraison, ils Ă©taient trĂšs intĂ©ressĂ©s, ils espĂ©raient arrĂȘter des membres de l’IRA et ont donnĂ© des instructions prĂ©cises.
Marc Fievet devait attendre en pleine mer la livraison par avion, en provenance du VĂ©nĂ©zuela. Mais, dans la zone concernĂ©e, les AmĂ©ricains ont procĂ©dĂ© inopinĂ©ment Ă des contrĂŽles renforcĂ©s et le largage n’a donc pas eu lieu.
AprĂšs un mois d’attente, Marc Fievet est reparti et les Anglais ont Ă©tĂ© trĂšs dĂ©sappointĂ©s.
Cet Ă©pisode est d’ailleurs relatĂ© dans le film de maniĂšre dĂ©formĂ©e. AprĂšs son arrestation, il n’a pas Ă©tĂ© soutenu par la France. Il aurait peut-ĂȘtre pu bĂ©nĂ©ficier d’une remise de peine suite Ă son rapatriement du Canada, deux ans aprĂšs sa condamnation, mais le directeur gĂ©nĂ©ral des douanes avait changĂ© ainsi que le ministre. »
Que pensez-vous du film ?
« Il est assez violent. Heureusement, ces meurtres n’ont pas existĂ© ! Il y a des invraisemblances. On me fait faire des contrĂŽles en Espagne alors que c’est impossible. Il y a des choses amĂ©nagĂ©es par rapport Ă la rĂ©alitĂ©.
Je n’ai pas un mauvais rĂŽle, mais le film ne retrace pas les nombreux Ă©changes qu’on a eus avec Marc Fievet. J’ai toujours des contacts avec lui et une certaine admiration, car il fallait du courage pour faire ce qu’on lui demandait.L’angĂ©lisme et le milieu du renseignement sont deux mondes trĂšs Ă©loignĂ©s. Depuis cette pĂ©riode, il y a eu de gros progrĂšs technologiques mais le renseignement est toujours nĂ©cessaire. »
Interrogé à mon tour le 18 octobre 2013 par Ouest France
Comment avez-vous rencontré Christian Gatard ?
« J’Ă©tais en recherche d’emploi, il m’a contactĂ© par tĂ©lĂ©phone puis nous nous sommes rencontrĂ©s Ă Gibraltar. J’ai acceptĂ© de travailler pour les douanes car c’Ă©tait une activitĂ© d’observation dans laquelle je pensais pouvoir m’intĂ©grer et obtenir des rĂ©sultats. J’estimais que j’Ă©tais en capacitĂ© de donner le change afin d’Ă©viter le danger et de pouvoir passer au travers des suspicions et de la paranoĂŻa des narco-trafiquants.
Nous avions des rĂ©sultats exceptionnels. Cela a bien marchĂ© jusqu’Ă un changement de politique en mars 1993. Nicolas Sarkozy devenu ministre du budget du gouvernement Balladur a donnĂ© pour directive de supprimer toutes les actions d’infiltration, mais moi, j’Ă©tais dĂ©jĂ infiltrĂ© dans l’organisation dirigĂ©e par Claudio Locatelli, baron de la drogue. Les responsables des douanes avec lesquels j’Ă©tais en relation ont Ă©tĂ© mutĂ©s.
Ă l’Ă©poque, je naviguais sur un bateau, financĂ© Ă 50 % par les douanes françaises et pour le reste par des narco-trafiquants anglais. N’Ă©tant pas informĂ© de cette nouvelle orientation politique, j’ai continuĂ© mon activitĂ© et fin juin, j’ai organisĂ© Ă l’hĂŽtel Meurice un rendez-vous avec deux financiers d’un trafic de quatre-vingts tonnes de cannabis. J’ai avisĂ© Christian Gatard pour que soit mis en place un dispositif afin de les identifier. La direction parisienne de la DNRED et en particulier Joseph Le louarn ont refusĂ© de mettre Ă disposition des hommes pour soutenir l’Ă©quipe nantaise et le dispositif a Ă©chouĂ©. »
Quelles ont été vos relations avec Christian Gatard ?
« Christian Gatard me disait d’ĂȘtre prudent, mais j’Ă©tais axĂ© sur la culture du rĂ©sultat et infiltrĂ© Ă un niveau tel que je ne pouvais plus reculer. Je me suis retrouvĂ© sous la coupe de Locatelli qui m’a mis Ă l’abri avec ma famille Ă un moment oĂč j’Ă©tais menacĂ© ; les douanes françaises que j’avais sollicitĂ©es m’avaient laissĂ© tomber.
Christian Gatard a ensuite Ă©tĂ© mutĂ© Ă Marseille et a reçu l’ordre de ne plus suivre mon affaire. Il a cependant Ă©tĂ© sollicitĂ© par sa hiĂ©rarchie pour se rendre au Canada aprĂšs mon arrestation pour me dire que je devais plaider coupable, que je serai aprĂšs rapatriĂ© en France et qu’on solliciterait une grĂące prĂ©sidentielle.
Quand je suis rentrĂ©, François Auvigne, le directeur gĂ©nĂ©ral des douanes de l’Ă©poque, a refusĂ© d’intervenir et d’assumer la continuitĂ© du service de l’Etat. De son cĂŽtĂ©, Michel Charasse, que j’avais rencontrĂ© cinq fois, n’est pas intervenu auprĂšs de Jacques Chirac pour que je sois graciĂ©. Ce sont eux les deux responsables.
Christian Gatard ne m’a pas laissĂ© tomber, on a travaillĂ© ensemble pendant six ans et je ne vois pas pourquoi je lui en voudrais. On se rencontre de temps en temps et c’est toujours un plaisir, mĂȘme si cela provoque chez moi un retour d’adrĂ©naline et me renvoie des annĂ©es en arriĂšre. »
Que pensez-vous du film Gibraltar ?
« Il ne reflĂšte pas du tout la rĂ©alitĂ©, ce n’est pas mon histoire. Je passe pour une vieille tĂąche. On oublie les relations politiques, il n’y a plus d’adoubement. La chronologie n’est pas du tout respectĂ©e et (lors de la promo de sortie du film faite par Gilles Lellouche) Je suis prĂ©sentĂ© par les mĂ©dias comme un narco-trafiquant repenti, ce qui est faux.
Au dĂ©but, j’ai eu un contrat de coscĂ©nariste et j’ai participĂ© aux quatre premiers scĂ©narios (il y en a eu sept). AprĂšs j’ai Ă©tĂ© Ă©cartĂ© et je n’ai plus eu de nouvelles. Je n’ai pas Ă©tĂ© approchĂ© par Julien Leclercq, le rĂ©alisateur, ni par Gilles Lellouche qui joue mon personnage. »
« Comment aurais-je pu approuver le rĂŽle du personnage censĂ© me reprĂ©senter, tel que le joue Gilles Lelouche, alors mĂȘme que ce dernier s’est refusĂ© Ă toute rencontre avec moi, arguant du fait qu’il ne voulait pas ĂȘtre « subjuguĂ© » ou « déçu » ».
« Un acteur, pour moi, lorsqu’il joue le rĂŽle d’un individu bien rĂ©el qui a inspirĂ© un scĂ©nariste, doit respecter le profil de celui quâil incarne Ă lâĂ©cran. Et sâil a la chance que ce dernier soit vivant et qui plus est consultant sur le film, le minimum semble au moins quâil accepte de passer quelques jours avec lui sur le tournage.
Au lieu de cela, et c’est Gilles Lellouche lui-mĂȘme qui le prĂ©cisera lors d’une interview le 7 septembre 2013 avec Charlotte Bouteloup (TĂ©lĂ©matin-France 2), il réécrivait les dialogues et revoyait la mise en scĂšne avec Tahar Rahim lors des soirĂ©es Ă l’hĂŽtel, pendant le tournage en Andalousie. Lâacteur a donc arrangĂ© le scĂ©nario et les dialogues Ă sa façon, avec l’aval du prĂ©tendu rĂ©alisateur.
Dans ces conditions, les Ă©tats dâĂąme de Gilles Lellouche sont surprenants.
Alors, pourquoi ce film qui ne reprĂ©sente en rien la rĂ©alitĂ© ? C’est la question que je me pose et que je pose Ă Dimitri Rassam ! »
Pourquoi avoir changé le scénario, le titre du film et le nom du personnage principal ?
« J’ai appris de la bouche mĂȘme d’Abdel Raouf Dafri (qui le tient de Dimitri Rassam avec lequel il a eu une conversation tĂ©lĂ©phonique assez houleuse Ă ce sujet) que le changement de mon nom en Marc Duval venait d’informations transmises Ă SND (le distributeur du film) par un agent de la DST (La Direction de la Surveillance du territoire Ă©tait un service de renseignements du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, au sein de la Direction gĂ©nĂ©rale de la Police)… Ce mystĂ©rieux agent aurait informĂ© la sociĂ©tĂ© SND que je serais un individu sulfureux… Et qu’il valait mieux changer mon nom.
Dafri n’en a pas cru un mot, s’est brouillĂ© dĂ©finitivement avec le producteur et le rĂ©alisateur et a tournĂ© le dos au film, 8 jours avant le dĂ©but du tournage.
Personnellement, je pense quâil vaut mieux en rire quand on sait que la DST n’existait dĂ©jĂ plus Ă l’Ă©poque de la mise en chantier du film, car remplacĂ©e par la DCRI (Direction centrale du Renseignement intĂ©rieur) au 1er juillet 2008, et que la postface de mon livre, InfiltrĂ©, au coeur de la mafia, fut Ă©crite par un ancien patron de la DST qui « connait la chanson »! »
En rĂ©alitĂ©, c’est JĂ©rĂŽme Fournel, le DG de la Douane française, qui a manipulĂ© Rassam et la production, allant mĂȘme jusqu’Ă s’en vanter auprĂšs de Jean Paul Garcia, Ă l’Ă©poque Ă l’A2, un service de la DG.
Marc Fievet
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