Elles sont aussi en colère que déterminées, et elles tiennent à le faire savoir. Réunies au sein de la Commission internationale de politique en matière de drogues (GCDP), trente-et-une personnalités (dont quatre récipiendaires du prix Nobel de la paix) ont lancé le 25 juin un appel pour que l’on en finisse enfin avec le grand bric-à-brac prévalant dans le classement des drogues.
Selon la commission, il en va de la santé publique et de la réduction des risques –étant entendu une bonne fois pour toutes qu’un monde sans drogue n’est qu’angélisme.
«Il y a urgence à évaluer de façon rationnelle les substances psychoactives. L’incohérence de la classification actuelle fait obstacle aux nécessaires réformes. Il est grand temps d’accepter le fait qu’une société sans drogue est une illusion et de créer les bases scientifiques de la régulation légale de leurs marchés, en revenant à l’essentiel: la vie, la santé, la sécurité de tous», résume Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération suisse aujourd’hui à la tête de la GCDP, dans l’avant-propos de son rapport.
Des politiques répressives aveugles
Vieille affaire que celle de l’ambivalence vis-à-vis des drogues, ces substances qui modifient notre état de conscience et dont la consommation expose à de nombreux risques sanitaires, à commencer par celui de l’addiction.
Il faut bien comprendre que l’on parle ici à la fois des drogues naturelles et des drogues synthétiques, consommées à des fins récréatives, anti-douleur ou psychiatriques; des drogues licites, inhalées ou avalées, et des drogues illicites officiellement combattues. La production et la commercialisation des premières sont encadrées et généralement fortement taxées. À l’inverse, les secondes alimentent d’innombrables marchés mafieux que les États ne parviennent jamais à éradiquer.
Aujourd’hui, les politiques nationales comme internationales de lutte contre les drogues illicites se fondent sur un catalogue réunissant près de trois cents substances psychoactives, réparties en catégories selon la rigueur avec laquelle elles doivent être combattues.
«Ces substances sont soumises à une longue liste d’interdits: interdiction de les cultiver, de les produire, de les fabriquer, de les exporter, de les importer, de les distribuer, de les commercialiser, de les posséder et de les consommer, obligation de les limiter exclusivement à des usages scientifiques et médicaux, note Ruth Dreifuss. Certaines, d’ailleurs, se voient nier, sans la moindre preuve, toute utilité médicale.»
«Les effets en termes de santé publique et de sécurité, de discrimination et de surpopulation carcérale démontrent la nécessité de changer de cap.»
Rapport de la Commission internationale de politique en matière de drogues
Les conventions des Nations unies ont progressivement installé, de 1961 à 1988, le régime international de contrôle des drogues; les États se sont engagés à introduire la même classification dans leur législation nationale. Mais la guerre à la drogue menée dans ce cadre a amplement fait la preuve de sa totale inefficacité, doublée de considérables effets pervers.
Ces politiques répressives aveugles sont dénoncées par la GCDP depuis sa création en 2011: «Les effets en termes de santé publique et de sécurité, de discrimination et de surpopulation carcérale, de montée en puissance du crime organisé avec leurs corollaires de violences et de corruption ainsi que de privation de médicaments essentiels, démontrent la nécessité et l’urgence de changer de cap et de mettre en place des politiques plus efficaces et plus respectueuses des droits humains», insiste Ruth Dreifuss.
Le récent rapport de la commission fournit une analyse factuelle de l’histoire, des procédures et des incohérences majeures de la classification des substances psychoactives, en rappelant notamment que certaines des plus massivement nocives (le tabac et l’alcool) échappent à la prohibition et assurent de considérables profits aux acteurs commerciaux et aux États.
Ceci posé, le texte se penche sur les molécules psychoactives illicites, soit les drogues qui sont toutes considérées, par définition, comme hautement nocives et gérées par différents types d’organisations criminelles.
Bien évidemment, les frontières séparant les substances légales de celles qui ne le sont pas n’ont aucune valeur scientifique ou médicale: la cartographie, ici, n’est que la résultante d’une longue histoire de domination culturelle, économique et politique. Ces frontières sont d’ailleurs mouvantes, comme en témoigne l’actuel courant international de dépénalisation/légalisation du cannabis. Aucune corrélation n’est établie entre les effets psychotropes, les plaisirs procurés et les dégâts individuels et collectifs.
Quant à la classification actuelle, loin d’être scientifiquement fondée, elle est bien souvent «tributaire de l’idéologie, des préjugés et de la discrimination de groupes de population marginalisée, voire des intérêts financiers de l’industrie pharmaceutique».
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