La ligne blanche de la cocaĂŻne, de Rotterdam Ă Lausanne
Par AĂŻna Skjellaug
Des toilettes de la Riponne aux conteneurs du plus grand port dâEurope, «Le Temps» vous invite Ă suivre la route de cette drogue, alors que la Suisse apparaĂźt comme le plus grand consommateur du continent
Ce quâil faut sâimaginer, câest une ville dans la ville. Rotterdam, 630 000 habitants, deuxiĂšme citĂ© des Pays-Bas, ne serait rien sans son port extravagant, le plus important dâEurope. Il sâĂ©tend sur prĂšs de 50 kilomĂštres. Partout, des cargos amarrĂ©s venant de partout. Partout encore, rouges, blancs, ocre, bleus, jaunes, rouillĂ©s, des milliers dâĂ©normes conteneurs empilĂ©s en une construction gĂ©ante de Lego.
Il est impossible de contrĂŽler toutes ces boĂźtes de ferraille: seulement environ 1% dâentre elles lâest sĂ©rieusement.
On vise les provenances vaguement suspectes â PĂ©rou, Colombie, Bolivie â mais la drogue peut se cacher derriĂšre des fruits, des piĂšces de tracteur ou du cafĂ©, comme on lâa vu lorsquâune cargaison de cocaĂŻne a Ă©tĂ© dĂ©couverte au printemps 2022 dans lâusine Nespresso de Romont, sans bien sĂ»r que lâentreprise ne soit le moins du monde impliquĂ©e. MĂȘme les trafiquants font des boulettes.
Ce qui demeure la marque de Rotterdam, câest le danger
La «Mocro Maffia», voici le terme dĂ©signant les filiĂšres marocaines qui tiennent le marchĂ© de la poudre depuis le port. Et si la violence directement liĂ©e au trafic est peu prĂ©sente dans une petite ville comme Lausanne, Rotterdam vit une autre rĂ©alitĂ©, dâune duretĂ© inquiĂ©tante jusquâaux plus hauts Ă©tages de lâEtat et de la dĂ©mocratie. Corruption, des dockers aux politiciens, chantages, menaces, meurtres, la pression est quotidienne. Journalistes trop fouineurs assassinĂ©s, ministres se retrouvant sous protection parce quâils refusent de se faire acheter. Mais la gangrĂšne prend, dans une odeur de sang et de menaces, au point de donner au pays une rĂ©putation qui, selon certains, pourrait Ă terme en faire une sorte de narco-Etat oĂč le pouvoir des marchands de mort ne connaĂźtrait plus de limites. Pourtant, des brigades policiĂšres dĂ©diĂ©es enquĂȘtent sans relĂąche et avec un courage Ă©poustouflant au milieu des empilements du port de Rotterdam.
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Ce qui ressort de toutes les analyses, câest que le marchĂ© des stupĂ©fiants alimente en argent des rĂ©seaux criminels internationaux, passant de lâAmĂ©rique du Sud aux anciens pays de lâEst ou Ă lâAfrique, qui sont actifs partout, y compris en Suisse, et ceux-lĂ sont parfois extrĂȘmement dangereux. La lutte est sans fin. Et le refrain de la police aux trousses des trafiquants ressemble Ă une vieille chanson dâAlain Bashung: «Toujours sur la ligne blanche.»
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