Petite devinette : dans les années 20, quel pays était le plus grand exportateur d’héroïne au monde ? La Chine ou quelque obscur port du lointain Orient qu’on aime encore à se représenter nimbé dans les vapeurs tropicales d’opium ? Vous n’y êtes pas du tout : c’était l’Allemagne, où la diacétamorphine, dérivé de la morphine, vendue sous le nom d’«héroïne», avait été découverte dès 1897 par Felix Hoffmann, chimiste de la compagnie Bayer.
Le même homme, quelques jours plus tôt, avait déjà réussi à synthétiser un acide donnant naissance à l’aspirine. A l’époque, on ne voyait visiblement pas toujours la différence puisque la compagnie Bayer avait d’abord commercialisé l’héroïne en vantant notamment ses effets bénéfiques sur la toux des enfants. Mais l’innocence des origines laissera vite place à des diagnostics plus lucides, et, dans les années 20, l’Allemagne devenue entre-temps «l’usine chimique du monde» ne se contentait pas d’exporter en masse de l’héro, proposant également la meilleure cocaïne du monde, celle alors manufacturée en toute légalité par l’entreprise Merck dont les pirates chinois imitaient (et oui, déjà) en contrefaçon le label. Trois entreprises germaniques (Merck, Boehringer et Knoll) monopolisaient, en réalité, 80 % du marché mondial de la coke, «disponible à tous les coins de rue», souligne le journaliste Norman Ohler, auteur d’un livre étonnant, l’Extase totale (La Découverte), publié cet automne, et qui revisite l’histoire sous un angle pour le moins explosif.
«La Pilule du courage»
La «permissivité» des années 20, celle de l’éphémère et fragile République de Weimar n’est, en réalité, qu’un prélude à ce qui intéresse réellement cet auteur éclectique qui fut scénariste pour Wim Wenders et chroniqueur d’un quartier de Berlin après la chute du Mur. Car cette fois-ci, il choisit de plonger dans un univers rarement évoqué avec autant de minutie, celui de l’usage systématique et stratégique de drogues par l’Allemagne nazie. En évoquant notamment le succès d’une dope au nom a priori anodin : la pervitine, qui n’est rien d’autre qu’une amphétamine, aujourd’hui connue sous le nom de «crystal meth» ou méthamphétamine. Elle sera largement commercialisée dans le civil sous l’Allemagne nazie, sans ordonnance au moins jusqu’en 1939. Mais «la Pilule du courage», comme la surnommera, en septembre 1940, le quotidien italien Corriere della Sera, aurait également été distribuée à hautes doses par la Wehrmacht. Laquelle saisira vite l’avantage d’une substance capable de maintenir quiconque éveillé pendant plusieurs jours d’affilé (à partir de deux ou trois pilules par jour) et provoquait «regain d’énergie, sens affûtés, sentiment d’être plus vivant, confiance en soi accrue, détermination», comme le constatera en substance Fritz Hauschild, le chef chimiste des usines Temmler, qui synthétise le produit dès 1937.
Toute ressemblance avec les sociétés contemporaines ne saurait évidemment être fortuite et l’engouement pour le livre de Norman Ohler tient peut-être moins à une quelconque fascination morbide pour les mœurs nazies qu’à une identification aux exigences, et dérives, de notre propre époque.
Ce que Norman Ohler confirme : «Cet été 2016, un député du parti des Verts allemands, Volker Beck, a été arrêté avec du crystal meth en sa possession et a dû démissionner d’un certain nombre de ses mandats. Je suis persuadé que ce n’est que le sommet de l’iceberg, et que les hommes politiques aujourd’hui, comme parfois les étudiants, sont soumis à une telle pression qu’ils consomment des drogues juste pour tenir le coup», explique-t-il.
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