PAYS-BAS đŸ‡łđŸ‡± (Narcotrafic maritime) : l’interview de Romilda Schaaf par « Le Temps »

Le Temps: Romilda Schaaf, depuis 2017, vous ĂȘtes la cheffe de la lutte contre le trafic de drogue, au sein de la brigade portuaire. Quelle est l’importance du port de Rotterdam dans le trafic de cocaĂŻne entre l’AmĂ©rique du Sud et l’Europe?

Romilda Schaaf: Le port de Rotterdam est un goulet d’étranglement. C’est l’un des trois passages stratĂ©giques avec Anvers et Hambourg oĂč arrive la poudre en ballots, cachĂ©s dans des conteneurs sur des cargos. Les autoritĂ©s de nos trois ports travaillent d’ailleurs ensemble. Cette annĂ©e, nous avons dĂ©jĂ  saisi 20 000 kg de cocaĂŻne dans le port de Rotterdam. Nous arriverons Ă  40-50 000 kg saisis Ă  la fin de l’annĂ©e 2023. C’est le mĂȘme chiffre que l’annĂ©e derniĂšre. Sauf qu’en 2022, nous avons arrĂȘtĂ© 200 trafiquants et cette annĂ©e, dĂ©jĂ  220 personnes, donc nous doublerons le nombre d’arrestations si cela continue. Soit nous faisons un meilleur travail, soit il y a plus de trafiquants et la cocaĂŻne a augmentĂ© consĂ©quemment, et sort du port d’une maniĂšre que nous ne connaissons pas encore.

Justement, avez-vous une idĂ©e du pourcentage de la drogue que vous arrivez Ă  saisir? Une Ă©tude indĂ©pendante a Ă©tĂ© menĂ©e par des scientifiques sur la quantitĂ© de cocaĂŻne produite et consommĂ©e, ainsi que sur un certain nombre d’autres paramĂštres. La conclusion est qu’environ 60% sont saisis dans les ports des Pays-Bas.

Soixante pour cent, c’est Ă©norme 


Le prix de la cocaĂŻne n’a pas augmentĂ©, et l’offre est toujours trĂšs prĂ©sente partout, donc c’est un chiffre qui, Ă  mon avis, doit ĂȘtre intĂ©grĂ© dans les calculs des producteurs et des trafiquants.

Quel est le modus operandi des trafiquants?

Les trafiquants insĂšrent des briques de cocaĂŻne dans les cavitĂ©s des murs, des plafonds, des sols et des portes, dans l’isolation ou l’équipement de refroidissement des conteneurs traversant l’Atlantique. Dans des cartons de bananes, de jus, d’habits, de cafĂ©, partout. Pas moins de 18 millions de conteneurs arrivent chaque annĂ©e Ă  Rotterdam, soit environ 50 000 par jour. Tous ne peuvent pas ĂȘtre contrĂŽlĂ©s. Ce sont nos collĂšgues de la douane qui en sĂ©lectionnent, selon leur provenance, et les contrĂŽlent par scanner ou avec des chiens renifleurs. Le problĂšme, c’est que dĂšs que le conteneur est dĂ©placĂ© pour ĂȘtre inspectĂ©, les criminels en profitent pour sortir la drogue. Ils ont des complices dans les ports: des marins, dockers, tentĂ©s de gagner quelques dizaines de milliers d’euros pour faire sortir la poudre du terminal sans contrĂŽle. Le seul moyen pour nous de lutter efficacement contre cela est de les empĂȘcher d’ouvrir les conteneurs en les bloquant les uns contre les autres. Nous engageons les compagnies Ă  suivre cette mĂ©thode.

La corruption est donc partie intĂ©grante de la vie du port? Chaque jour, 180 000 personnes travaillent au port. Echanger un conteneur peut rapporter 30 000 euros. Nous menons des campagnes contre la corruption, alertant sur le fait qu’on ne collabore jamais qu’une seule fois: lorsque l’on entre dans ce monde dangereux, on ne peut pas facilement en sortir. Il y a ensuite des pressions, des reprĂ©sailles, sans parler des 4 ans de prison ferme pour un docker qui serait pris en flagrant dĂ©lit.

Et au sein de la police?

Depuis 125 ans qu’existe la brigade du port, nous n’avons pas eu un cas de corruption en notre sein. Cela s’explique aussi par le fait que nous n’avons pas d’accĂšs libre au terminal des conteneurs, nous devons demander un laissez-passer Ă  la sĂ©curitĂ©.

De la sĂ©curitĂ© du port de Rotterdam dĂ©pend ensuite le dĂ©ferlement de la drogue partout en Europe. Etes-vous soutenus financiĂšrement par l’Union europĂ©enne?

Non, pas Ă  ma connaissance. Mais aux Pays-Bas, la lutte contre la drogue est la prioritĂ© numĂ©ro une. Notre budget a Ă©tĂ© augmentĂ© de plusieurs millions d’euros et nous avons une nouvelle loi depuis 2020 qui met les criminels se trouvant illĂ©galement dans le port en prison pour 2 ans. Nous nous devons de rĂ©tablir l’ordre dans certaines zones de non-droit pour rendre le pays sĂ»r. Et dĂ©barrasser le port des criminels. Nous avons eu des politiciens, journalistes et avocats qui ont Ă©tĂ© assassinĂ©s. Pour ma part, je porte un gilet pare-balles mais je ne me laisse pas gagner par la peur. Sinon, je ne pourrais plus faire mon travail.

Quel a été votre travail depuis votre arrivée?

J’ai mis un point d’honneur Ă  faire participer les compagnies d’import-export et du fret maritime Ă  la lutte contre la drogue. Ce n’est pas qu’un travail de politique publique. Au dĂ©but, c’était difficile car ces compagnies visent avant tout le profit et veulent faire sortir leur marchandise du port le plus rapidement possible. Ces contrĂŽles coĂ»tent de l’argent. Mais ils savent aussi qu’il est important de prendre des mesures pour contrĂŽler les gens qu’ils embauchent, les surveiller, ils se rendent petit Ă  petit compte des problĂšmes qu’engendre la drogue.

Est-ce que l’on a une mauvaise image de la cocaïne, qui est perçue comme une drogue festive, des riches et des puissants?

Je serais favorable Ă  des campagnes similaires Ă  celles que l’on a faites contre le tabac, du genre: «Le tabac attaque vos poumons, votre foie, votre cƓur». On devrait proposer: «En sniffant votre rail de cocaĂŻne, vous participez au meurtre de paysans en AmĂ©rique du Sud, Ă  l’assassinat d’un avocat et d’un enquĂȘteur reporter aux Pays-Bas, vous avez beaucoup de sang sur les mains». Car oui, cela reste tendance et branchĂ© de prendre de la coke en festival, et le consommateur ne se rend absolument pas compte de la violence et des crimes qui y sont liĂ©s. La cocaĂŻne est un marchĂ© qui respecte la loi de l’offre et de la demande et Ă  mon sens, on ne met pas du tout assez de pression sur le consommateur.

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